Damien
Par Damien
15 mai 2024
12 minutes

Face aux mutations du marché des ESN, le marketing devient une boussole

Quelle stratégie marketing mettre en place au sein des ESN ?

Les ESN se sont longtemps désintéressées des questions de marketing. Mais ça, c’était avant ! Avant la pandémie de COVID-19 et la généralisation du télétravail, avant la dissolution des frontières géographiques et sectorielles, avant l’impact du modèle de distribution SaaS, avant l’autonomie des métiers, ces nouveaux interlocuteurs avec leur propre langage et leurs propres règles. Depuis de nombreuses années, Magnetic Way est aux premières loges pour observer la mutation de ce marché et la prise en compte, souvent à marche forcée, d’une stratégie marketing désormais incontournable pour les ESN qui veulent se transformer pour rester dans la course. Nous avons vu et vécu cette évolution ! Dans cette interview de Damien, directeur conseil et associé Magnetic Way, nous avons voulu vous partager notre expérience et notre vision de ce sujet, pour nous passionnant, qu’est l’adaptation des stratégies marketing des ESN face à l’évolution de leur marché.

MW : Est -ce que la réalité derrière les termes SSII et ESN a connu une évolution importante ces dernières années ?

Damien : La réalité de ces termes n’englobe plus la même chose si on la compare avec celle d’il y a une dizaine d’années. Le périmètre a fortement évolué, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, la pandémie de COVID-19 et la généralisation du télétravail ont entrainé une dissolution des frontières géographiques et sectorielles. Ce phénomène a non seulement affecté la gestion des ressources humaines mais aussi exacerbé la concurrence et redéfini les marchés. De fait, les Entreprises de Services du Numérique, qu’elles opèrent à un niveau local ou national, sont désormais confrontées à un écosystème beaucoup plus vaste et diversifié. Cette nouvelle réalité ne permet plus de se limiter aux démarches commerciales exclusivement fondées sur le réseau local et la proximité au client. De même, un consultant peut être chassé par une ESN se trouvant à plusieurs centaines de kilomètres : ses choix sont plus grands, mais également ceux des recruteurs !

Autre point marquant : l’impact du modèle de distribution SaaS (Software as a Service). Alors que les Systèmes d’Information (SI) sont devenus centraux dans l’activité des entreprises, ces dernières connaissent également une maturité grandissante et une augmentation de leur capacité à développer en interne, réduisant ainsi leur dépendance vis-à-vis des prestataires externes sur des périmètres historiques… et en ouvrant d’autres. Les offres SaaS, avec leurs promesses de réduction des coûts et des délais, ainsi que leur capacité à répondre « facilement et efficacement à 80% » aux besoins des entreprises, ont fortement contribué à cette évolution. Ce qui a encouragé une plus grande autonomie des métiers, modifiant ainsi les interlocuteurs habituels des ESN et les attentes clients vis-à-vis des fournisseurs de solutions IT : il n’est plus possible de parler uniquement tech, il faut parler solutions.

Ainsi se définir comme une ESN généraliste ancrée localement avec un ADN centré sur l’humain ne permet plus de se différencier et de créer un espace de notoriété.

MW : Avec des changements aussi radicaux, quel est l’impact sur les stratégies marketing des ESN ?

Damien : Prenons l’exemple des domaines de l’infrastructure, du DevOps, de l’agilité, de la mouvance Move To Cloud, de la cybersécurité ou de la gestion des données, qui sont devenus extrêmement concurrentiels ces dernières années. Dans ce contexte saturé, se différencier devient un défi majeur pour les ESN. La question est de savoir : quel espace investir, comment se démarquer et promouvoir efficacement sa marque au-delà des relations personnelles traditionnelles avec les ingénieurs d’affaires ou les consultants ? Qui plus est, face à une concurrence féroce, l’attraction et la rétention des talents représentent un autre défi de taille pour les ESN. Comparées aux éditeurs de logiciels, qui offrent souvent une impression plus tangible de participation à un projet commun, les ESN doivent redoubler d’efforts pour construire une marque employeur forte et distinctive.

Ces éléments imposent de repenser profondément les stratégies commerciales, leur positionnement et la stratégie marketing. Au-delà d’une simple adaptation, il s’agit de se réinventer pour faire face à un paysage professionnel en mutation rapide, où la capacité à innover et à se différencier est devenue primordiale. Il faut certes prendre le pas des nouveaux sujets pour ne pas être distancé, mais aussi choisir ses combats : Intelligence Artificielle (IA), cybersécurité ou sobriété numérique… Vouloir être expert de tout, pour une ESN de taille intermédiaire, c’est n’être expert de rien ! Ce qui n’est pas forcément évident pour les ESN qui historiquement cherchaient à étendre au maximum leur périmètre de compétences.  La différenciation peut se réaliser par spécialisation sur un périmètre d’expertises – le plus courant – mais également sur certains secteurs d’activité, type de prestations ou méthodes d’accompagnement par exemple.

Se pose ainsi la question du positionnement, donc de marketing de l’offre / marketing produit et de comment faire (re)connaitre ce positionnement pour attirer sur un périmètre choisi, avec le marketing digital comme levier évident. Car, à quoi sert un positionnement efficace s’il n’est pas connu ? C’est la théorie de la vache pourpre de Seth Godin : ce qui n’est pas remarquable est invisible. Et être remarquable, cela ne peut pas reposer sur « avoir les meilleurs experts » ou « notre ADN centré sur l’humain » que nous retrouvons très souvent comme éléments de langage au sein des ESN !

MW : Comment adapter sa stratégie marketing à ce nouveau contexte ? La démarche d’une ESN peut-elle être similaire à celle d’un éditeur de logiciels ? 

Damien : Si les grands principes sont similaires, les stratégies ne le sont pas. À taille similaire, les éditeurs de logiciels ont souvent une proportion plus élevée de collaborateurs dédiés au marketing et de moyens par rapport aux ESN. Cette différence s’explique par le business model des éditeurs qui repose fortement sur la vente de licence, l’acquisition de nouveaux clients et la pénétration de marché, alors que les ESN se concentrent davantage sur le foisonnement, le développement de relations et de projets personnalisés avec un équilibre en termes de marge et de P&L plus resserré… donc un suivi des coûts de structure par rapport aux nombres de consultants plus marqué.

Ainsi, la transformation du marché et la multiplicité des profils professionnels exigent des ESN une approche marketing plus ciblée, qui va compléter certains axes stratégiques (RH et/ou Business) en particulier. Cette spécialisation et cette singularité permettent de créer des espaces de visibilité plus pertinents et efficaces.

Ainsi, bien que les ESN et les éditeurs de logiciels opèrent dans les mêmes secteurs technologiques, les stratégies marketing efficaces pour chacun doivent reconnaître et embrasser leurs différences fondamentales. Pour les ESN, cela signifie développer une marque forte, se concentrer sur des segments de marché ou des expertises spécifiques, équilibrer stratégiquement les efforts marketing entre RH et en ventes en fonction des conditions changeantes du marché. La stratégie repose, encore plus que chez les éditeurs, sur la construction de son « capital marketing » afin de décorréler la progression des résultats à l’augmentation du budget et des ressources : faire plus à investissement constant.

Pour le volet recrutement, il s’agit désormais d’attirer des individus dont les valeurs et les compétences correspondent à l’ADN de l’entreprise. Par exemple, sur la dimension RH, plutôt que de tenter de se rendre visible auprès d’une large gamme de profils, en concurrence directe d’un point de vue SEO avec les jobboards et les plateformes de freelancing, les ESN gagneraient à se positionner sur des problématiques spécifiques avec une tonalité unique.

Cette approche nécessite une stratégie d’attraction continue, impliquant une communication de marque employeur cohérente et engageante sur divers canaux. Elle est plus efficace d’un point de vue marketing pour les recrutements sur profils. Pour des besoins spécifiques ou des projets à court terme, le recrutement sur mission peut être soutenu en déclenchant des campagnes de recrutement ciblées, souvent au travers d’actions push et l’animation d’un vivier de talents. Cette approche permet d’atteindre rapidement des profils spécifiques, prêts à s’engager dans des missions précises.

MW : Quels sont tes conseils pour accompagner cette mutation du marché des ESN sur le volet marketing ?

Damien : Le marketing doit venir compléter et soutenir les stratégies RH et business, là où il va apporter une valeur supplémentaire. Que ce soit pour l’ouverture de nouvelles agences ou la pénétration de certains secteurs d’activité, des campagnes marketing ciblées peuvent faciliter l’entrée sur de nouveaux marchés. Le marketing peut également renforcer le foisonnement sur certains comptes clé, en support d’un Global Account Manager, par le biais de l’Account-Based Marketing (ABM). Cette approche personnalisée vise à créer des campagnes sur mesure pour des comptes spécifiques. Pour les offres et expertises nouvelles ou complexes, qui nécessitent une prise en main spécifique par l’équipe commerciale, le marketing peut également faciliter la mise sur le marché et l’acquisition des premiers « Sales Qualified Lead » ou opportunités commerciales. Par le développement des pitchs commerciaux, de matériel promotionnel, de campagnes dédiées, le marketing facilite l’adoption de ces offres tant par les équipes internes que par le marché cible.

Mais il faut avant toute chose convaincre et embarquer. Dans une ESN, on trouve des sponsors de la démarche marketing, mais aussi des détracteurs, car c’est un domaine moins ancré en termes de pratique que chez les éditeurs de logiciels ! Une bonne stratégie marketing doit être connectée à l’organisation, c’est-à-dire à l’ensemble de l’équipe en place tout en accompagnant et impulsant la transformation avec la direction (stratégie d’entreprise) et des directions d’entité selon la structure : centre de compétences, CDS, direction des offres, BU… Pour ce faire, il est nécessaire de se poser ces questions en amont : quelle stratégie de développement je dois mettre en œuvre ? Quels sont mes différenciateurs ? Sur quels espaces/expertises je veux être visible ? C’est ensuite qu’il sera possible de construire un plan d’actions. Mais attention, vouloir tout changer dès le départ ne fonctionne pas : je conseille d’y aller par paliers. Pour convaincre, il faut des premiers succès et bien se connecter aux enjeux de directions. La posture de conseil est pour moi essentielle, et doit être complétée par la compréhension fine du fonctionnement de chaque ESN et des équipes.

Nous accompagnons ainsi les transformations marketing de nos clients en plusieurs étapes : une première phase d’audit, puis de construction du plan stratégique et tactique (le plan d’actions marketing mais qui peut aussi inclure l’organisation cible, la répartition et l’évolution des ressources, l’outillage et la conduite du changement) qui peut, suivant le contexte, être suivie d’une refonte du positionnement et du site web. C’est le BUILD initial avant d’entrer dans le RUN avec la mise en place, l’accompagnement et le pilotage des projets !

MW : Est-il préférable selon toi d’internaliser ou d’externaliser ces fonctions marketing au sein des Entreprises de Services du Numérique ?

Damien : Il n’y a pas de recette toute faite : cela dépend de la maturité, de l’engagement et de l’expertise interne de chaque ESN. Dans les premiers stades de son développement, une ESN est souvent confrontée à des défis stratégiques et opérationnels majeurs. Le recours à des cabinets de conseil ou à des agences spécialisées en marketing peut alors s’avérer particulièrement bénéfique : accès immédiat à un haut niveau d’expérience sans les contraintes liées à l’embauche et à la gestion d’une équipe marketing interne conséquente, optimisation des coûts…. Et au fur et à mesure que l’ESN développe son organisation et l’impact du marketing, la question de l’internalisation des compétences marketing devient alors plus pertinente.

Cette évolution peut prendre plusieurs formes. Coaching et formation des équipes internes : l’accompagnement par des experts externes reste crucial, mais l’objectif évolue vers « l’empowerment » des équipes internes, leur permettant d’acquérir les compétences nécessaires pour prendre en charge progressivement les fonctions marketing. Elle peut également prendre la forme d’une direction marketing à temps partagé ou de transition. Pour les ESN qui ne sont pas encore prêtes à internaliser entièrement leur marketing, le recours à une direction marketing externalisée, offre une solution flexible pour piloter leurs stratégies tout en développant leurs capacités internes. Il existe enfin la possibilité de développement d’une équipe interne dédiée. Cependant, l’équipe interne n’a souvent pas vocation à englober toutes les compétences marketing : un travail de conseil avec la définition d’une matrice des compétences entre l’interne et l’externe permet de réaliser les bons arbitrages et à de se projeter dans l’évolution de son organisation marketing à 1 an, 3 ans, 5 ans… La décision d’internaliser ou d’externaliser les fonctions marketing d’une ESN ne se présente pas comme un choix binaire, mais plutôt comme un continuum évolutif. Dans les premières phases, l’externalisation offre expertise, flexibilité et optimisation des coûts. À mesure que l’entreprise grandit et que ses besoins se complexifient, l’internalisation de pans du marketing devient une stratégie viable pour renforcer son autonomie et l’intégration du marketing au sein de l’organisation et de la direction… donc son impact !

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Damien Andrieu En plus de 17 ans de parcours au croisement du marketing et de l'IT, j'ai acquis une conviction sur le rôle de transformation porté par le marketing. Transformer implique de comprendre, conseiller, accompagner, se projeter et mettre en œuvre. C'est cette recherche d'impact et de partage d'expérience qui m'anime au quotidien !
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